Anaรฏs Georgelin est la fondatrice et CEO de Somanyways dont la mission est de redonner du sens au travail. Pour cela, lโentreprise donne des clรฉs aux collaborateurs pour quโils puissent รชtre acteurs de leur parcours et forme une nouvelle gรฉnรฉration de managers pour quโils agissent sur ces leviers. Interrogรฉe sur les nouveaux rapports au travail, Anaรฏs Georgelin nous en dit plus sur ce quโattendent les jeunes, mais aussi les moins jeunes, de leur activitรฉ professionnelle.
ยซ De mon temps, nous n’avions pas besoin de sens pour travailler ยป, ยซ De mon temps, on ne changeait pas de travail tous les trois ans ยป , ยซ Les jeunes dโaujourdโhui sont fainรฉants, ils ne veulent plus travailler. ยป Qu’elle soit X, Y ou Z, chaque gรฉnรฉration qui entre sur le marchรฉ du travail semble donner un grand coup de pied dans la fourmiliรจre de nos idรฉes reรงues. ร nous รฉcouter parler, il semblerait que chaque nouvelle gรฉnรฉration soit chaque fois plus exigeante concernant ses conditions de travail. Des aspirations souvent critiquรฉes par leurs aรฎnรฉs qui ne comprennent pas ces revendications et les prennent pour de la paresse. Mais, finalement, si nous sommes tous la gรฉnรฉration Z de quelquโun, pouvons nous rรฉellement faire cette distinction entre les รขges ? Ces nouvelles aspirations au travail sont-elles propres aux jeunes ou partagรฉes par tous ? Ne sont-elles pas rรฉvรฉlatrices dโun changement dโรฉtat dโesprit global plutรดt quโun caprice des plus jeunes dโentre nous ?
Pourquoi cette idรฉe que les jeunes ne sont plus en phase avec le monde du travail tel quโil existe aujourd’hui ?
Anaรฏs Georgelin : Parce que cโest en partie vrai et quโร lโinverse de leurs aรฎnรฉs, qui peuvent penser la mรชme chose, ils osent davantage lโexprimer. Cโest plus facile de le faire quand on nโa pas dโenfant, pas dโemprunt, pas de charge, etc. On peut plus facilement suivre cette petite voix. Mais cela ne veut pas dire que les moins jeunes nโont pas les mรชmes aspirations.
Ces aspirations, justement, quelles sont-elles ?
A.G : Grรขce ร lโenquรชte menรฉe par Somanyways, on sโaperรงoit que le top 3 des critรจres les plus importants au travail sont les mรชmes quelle que soit la gรฉnรฉration. Ces aspirations nโont dโailleurs rien d’extraordinaire, ce sont des basiques. Parmi elles on trouve : bรฉnรฉficier dโune bonne ambiance de travail, de relations saines, agrรฉables et faciles ; pouvoir apprendre et se dรฉvelopper ; avoir voix au chapitre, pouvoir exprimer ses idรฉes, ses propositions et se sentir entendu. On parle en rรฉalitรฉ de ce qui fait notre humanitรฉ : se sentir appartenir, se sentir respectรฉ, se dรฉvelopper.
Pour ce qui est des nouveaux rapports au travail qui รฉmergent, jโaime voir ce sujet sous lโangle de la rรฉussite. En France, la rรฉussite au sens traditionnel du terme signifie faire carriรจre. Aujourdโhui, deux visions de la rรฉussite prennent de plus en plus de place : รชtre utile ร la sociรฉtรฉ et profiter de la vie. Cette derniรจre vision peut se traduire par la tendance du ยซ travailler moins ยป. Rรฉussir sa vie signifie alors vivre ce que lโon a envie de vivre. Ces deux nouvelles visions de la rรฉussite viennent sโajouter ร la premiรจre, plus traditionnelle, et forment un monde du travail plus nuancรฉ et colorรฉ.
Comment les entreprises sโadaptent ร ces nouveaux critรจres de rรฉussite pluriels et personnels ?
A.G : Ce nโest pas facile, parce que cela demande de repenser beaucoup de composantes de nos organisations. Mais jโai la conviction que pour agir sur ce sujet il faut se rappeler quโil sโagit dโune co-responsabilitรฉ : des dirigeants, des RH, des managers et des collaborateurs.
ร lโรฉchelle des collaborateurs, on peut donner des clรฉs pour quโils soient capables de mieux dรฉfinir ce qui fait sens pour eux. Parce que, finalement, on ne sait pas vraiment ce que cela veut dire : donner du sens ร son travail. La premiรจre piste est donc de donner des outils aux collaborateurs pour quโils soient capables de mieux dรฉfinir leurs besoins, de les prioriser, et ensuite de prendre leur part pour les intรฉgrer ร leur quotidien.
Le second levier dโaction est managรฉrial. On a plein de formations qui sont obligatoires, en santรฉ, en sรฉcuritรฉ. Mais on peut manager sans รชtre formรฉ, comme si cโรฉtait innรฉ. Pourtant, lorsque quelquโun รฉvoque des problรจmes au travail, la plupart du temps cโest le manager qui en est la cause. Je ne leur jette pas la pierre, cโest un mรฉtier difficile et je le sais trรจs bien. En revanche, je pense quโil faut leur apprendre ร donner du sens au collectif et aux individus.
Il est ensuite possible dโagir ร lโรฉchelle de lโentreprise. Lโenjeu pour les boรฎtes cโest de rรฉussir ร standardiser la personnalisation. Parce quโon ne peut plus faire du one size fits all. On ne vit plus dans ce monde-lร : dans la sociรฉtรฉ, comme dans la consommation, tout est personnalisรฉ. Mais pour autant, on ne peut pas faire du cas par cas. Cโest possible de le faire au niveau du manager de terrain quโil faut former et autoriser ร personnaliser son management. ร lโรฉchelle de lโorganisation, il sโagit plutรดt de rรฉflรฉchir non plus ร une seule modalitรฉ (mรชme rythme de travail pour tout le monde) mais peut-รชtre ร deux ou trois alternatives.
Face ร ces nouveaux rapports au travail, les entreprises ont du mal ร fidรฉliser leurs collaborateurs. Comment rรฉpondre ร cet enjeu ?
A.G : Au vu des parcours professionnels qui sont et seront les nรดtres, morcelรฉs et changeants, la fidรฉlisation nโest pas pour moi le bon indicateur pour les boรฎtes. Pourquoi fidรฉliser si cโest pour garder des personnes qui ne veulent pas รชtre lร , ou alors pour garder ceux quโon nโa pas envie de voir rester. Chez Somanyways, on les encourage plutรดt ร travailler sur lโengagement en leur expliquant que cโest en rassemblant les conditions de lโengagement que les gens resteront plus longtemps. Surtout, ils auront donnรฉ le meilleur d’eux-mรชme et auront apportรฉ une rรฉelle valeur ajoutรฉe ร leur travail, mรชme s’ils ne restent pas longtemps.
Ces conditions de l’engagement, quelles sont-elles ? Selon nous, il y a cinq composantes : la confiance, la transparence, la congruence (le fait dโรชtre authentique), le sens et la reconnaissance. Cโest lร que nous faisons le lien entre lโengagement et le sens : le sens permet lโengagement et lโengagement favorise, lui, la fidรฉlitรฉ.